Lyon (1953 ? 1954 ?)
Qui n'a pas vu la licorne excessive n'a rien vu...
A l'heure folle de mes jeunes années, nous étions très liés, la licorne excessive et moi. Nous trimballions nos existences mythiques par des chemins verticaux, sans sourire aux chats faméliques, mais toutefois émus à la vue d'un vipéreau égaré. Combien de fois n'en avons-nous pas recueilli dans nos bras grêles et réchauffé au souffle éthéré d'élytres diaphanes. Tôt ou tard pourtant ils nous quittaient, nous brisant le coeur pour vingt-quatre minutes et nos forces physiques pour l'éternité.
A répéter
le même manège, les forces finissent par s'user.
Puis elle est devenue susceptible, et râleuse, me reprochant mes sautes
d'humeur - moi, qui couché dans mon cercueil ne tréssaille pas
plus au voletis d'une mouche qu'à l'ébranlement monstrueux du
pas du Bandershnouf. Et ma versatilité - moi qui, tel que l'affirme Jacques,
ne crois ni ne décrois.
Finalement, écrasant une larme, elle s'est anéantie, se dévorant
elle-même de l'extrémité de sa ductile pantoufle à
la pointe de l'appendice nasal atrophié dont elle tirait une fierté
équivoque.
De ce jour, j'ai renoué avec mes anciennes connaissances, mais pourtant
je conserve un coin de vague, une vapeur de regret. Bien sûr, au tout
venant, j'offre un visage allègre et m'exprime en alexandrins. Mais la
nostalgie, au crépuscule, me fait ouvrir parfois ce vieux coffret de
bois où je conserve, mêlés:
* un refrain dont elle n'a jamais su la fin,
* un prétexte dont elle avait le secret,
* sa photo, en homme de paille,
* un de ses sourires, abandonné malgré elle auprès d'une source tarie,
* son oeuvre complète en 94 volumes - avec l'imprimatur qu'elle arracha par séduction à un vieux secrétaire d'évêché impotent,
* sa seconde pantoufle ...